Chroniques de cancer

Le 27 janvier 2018, à l’âge de seulement 52 ans, disparut Fabienne Berthelot, épouse de István Ertl (co-fondateur de Libera Folio) et mère de leurs trois enfants, Klára, Ruben et Dorián. En 2013, elle fit apparaître le texte suivant („Kancerkroniko”) en espéranto, dans la revue Beletra Almanako. Libera Folio le republie aujourd’hui en sa mémoire.

Esperanto: Kancerkroniko
English: A Tale of Cancer

Fabienne Berthelot.

Octobre 2010: douleur inhabituelle au bras, qui devient bloqué.

Janvier 2011: diagnostic de cancer du sein, stade IV/IV: multiples métastases osseuses —> Première chimio, “palliative.» (Pronostic: 10°/° de vivantes après 5 ans).

Mai 2011: 7° et dernière chimio.

Aout 2011: 25 radiothérapies.

Septembre: hormonothérapie, et herceptine toutes les 3 semaines.

Décembre 2011: presque disparition des tumeurs

Avril, juillet, décembre 2012: bilans: aucun signe de vie de tumeurs.

Épisode suivant.

Avril 2013: je me plains de douleurs bien spécifiques au fémur. J’aurai eu 17 mois de rémission, c’est très bien!!!

Mai/septembre 2013: chimio (taxol) qu’on arrête pour cause de neuropathie. Le perjeta est associé à l’herceptine. Nouvelle hormonothérapie.

Octobre/Décembre 2013: je sens encore des douleurs gênant la marche.

Janvier 2014: IRM du bassin et colonne confirmant les métas tenaces de la hanche.

Avril 2014:10 séances de radio, qui éliminent les dernières douleurs de métas.

Mai 2014: IRM du thorax: pas de métas, mais un pneumothorax découvert! —> hospitalisation—> une petite chirurgie de dégonflage, regonflage, et tuyau d’aspiration du reste pendant quelques jours. La même semaine, une coloscopie de contrôle des dégâts de la radiothérapie sur les intestins, sans anesthésie. Pourquoi se compliquer la vie? Tout l’étage m’a entendu! Ça leur servira de leçon!

Juillet 2014: New York arpenté, à pied et vélo, métro, le bonheur!!

Novembre 2014: IRM montre le remplissage des trous causés par les métas osseuses par de la graisse.

A comme amis
Le cancéreux débutant sait d’avance, il le sent, il a l’expérience, que des amis partiront, et d’autres se révèleront, mais lesquels? c’est comme le jeu du Mastermind: quel est celui qui se cache derrière la bonne couleur? Et il y en a combien? Je les imaginais à mon enterrement: y aura-t-il foule? voyons: 8 membres de ma famille, plus Budapest, plus quelques voisins, plus 4 collègues, plus 15 personnes de la CC, plus du staff de l’école, plus… ah oui l’école et l’APEEE, ça fera beaucoup de monde, donc je pense que ça fera, avec les amis, bien 150 personnes!!! Ouah!!! j’aimerais bien voir ça! En attendant, qui va être sympa? compréhensif, compatissant, encourageant et positif? Qui sera la surprise? He bien ce fut la surprise… des amies que je croyais très humaines, douces, compréhensives et fidèles devinrent muettes de stupeur et ont cessé d’appeler, d’envoyer un mot, et ” des copines ” à peine connues, ont été là, ont aidé, téléphoné, encore et encore, furent très à l’écoute, bienveillantes, gaies et positives… Mon frère n’en a pas profité pour revenir mais des amis sont venus… d’énormes amis… c’est un gros avantage que de pouvoir faire son bilan d’amis, grâce au cancer.

A comme Anna
En juillet dernier, elle est allée chez elle, en Finlande, pour sa reconstruction. Elle n’était pas un stade IV mais elle a eu très peur, ses deux enfants ont très mal vécu la maladie. On s’est croisées une fois devant l’hôpital ” c’est comme une deuxième maison”.

C comme cœur
Le cancer est très ingrat, il n’en a jamais assez, non seulement il se nourrit de vos cellules saines, mais le médicament qui l’affame, l’herceptine, fatigue le cœur, qui n’avait rien demandé, qui n’était pas censé être au courant. Donc écho cardiaque tous les 5 mois pour vérifier si le cœur tient le choc. Eh bien tout va pour le mieux!!! Mon cœur, égoïstement, ignore complètement les dégâts de l’herceptine!! Jusqu’à maintenant…

C comme courage
“Il faut avoir du courage”. Ça m’énerve! Du courage de quoi? Je ne comprenais pas. Ce n’est pas un match de boxe! ” il faut se battre” se battre contre quoi? Contre l’invisible? Contre moi-même?!!! c’est idiot! Comme s’il suffisait de volonté pour se guérir tout seul, comme si serrer les poings allait faire diminuer les métas!!! Et puis un jour j’ai compris que se battre voulait dire: résister à la peur. Est-ce qu’on veut dire alors: ” n’aies pas peur? (Tu vas peut- être mourir mais après ce sera fini). ” n’aies pas peur, ils vont te soigner, n’aies pas peur, c’est pas grave… ”
Pas clair du tout… en fait ça ne veut rien dire du tout!!! Nous les cancéreux, on a pas besoin de courage, on a besoin de beaucoup de compassion, de patience, de présence et de sourires, et de médicaments qui fonctionnent…

C comme culpabilité
Parce qu’un cancer, c’est pas un virus qui attaque, envoyé par l’ennemi, c’est une anarchie destructrice de tes propres cellules. “Pourquoi j’ai fait ça, un cancer? “. Quand t’es fumeur, tu dis ” c’est de ma faute, j’ai fumé ” quand t’ as allaité 3 fois, quand t’as peu pris la pilule, pas fumé, mangé sainement, restent les causes psy. Quelle hoooonte! t’es psy et pas cap de faire le ménage dans ton propre inconscient? t’es nuuuuulle!!! Tu savais et t’as laissé faire? t’es nulle… quelque part, tu l’as bien cherché… en fait c’est de la morbidité du genre; c’est intéressant comme expérience de vie, tellement de sensations nouvelles, de nouvelles réflexions, de nouvelles dimensions temporelles…

D comme douleur
2011.
Quand la douleur est là, quand elle s’installe et envahit tout, on s’habitue, on peut même, à condition de ne rien faire, l’oublier quand il y a assez de vie autour de soi mais quand la nuit décide de vous mettre au lit, là elle se réveille, elle insiste, pousse, creuse, et la nuit devient une longue cuisson… les os dévorés ne sont plus qu’un sac de ciment écrasant. Alors, quand on m’a perfusé de la morphine, je me suis sentie revivre, j’avais de nouveau un contour et des dimensions corporelles normales, je n’avais plus d’excroissances pointues qui me traversaient le corps par des ravines sombres et poisseuses.
Puis les chuchotements des enfants sont devenus un bruit infernal et le mur de la salle de bain est devenu jaune citron et a pris des formes psychédéliques. J’étais paralysée; je n’avais plus mal mais j’étais immobile et grise, entourée de couleurs et de bruits incontrôlables, plongée dans des nuits propices aux cauchemars hollywoodiens. J’ai diminué la morphine. Est-ce que je voulais être une héroïne? non, j’ai eu raison, en fait la douleur avait disparu, du paracétamol à haute dose suffisait, je ne m’étais pas rendue compte que la chimio fonctionnait miraculeusement bien…

2014
Je suis devenue douillette. J’ai peur de la douleur. J’étais pourtant une dure à cuire, moi la judoka, le garçon manqué, « costaud » j’étais. J’ai appris à tomber sur le tatami, fortement, projetée par des gars plus gros que moi, frapper le sol pour ne pas avoir mal, et saluer l’adversaire pacifiquement. Si on est poli, il ne fera pas mal. Je respecte la douleur, mais elle me fait chier maintenant, elle est devenue traitre, elle ne s’annonce pas, elle s’invite tout doucement, fait croire à un incident de passage, par exemple à de l’arthrose.
C’est pas grave l’arthrose, ça ne se soigne pas, c’est pour les vieux mais ça passe, ça se soulage. En avril de cette année donc, j’ai eu une crise d’arthrose au bassin si violente qu’elle m’a clouée en quelques minutes, impossible de parler, de bouger. Puis le calme est un peu revenu, j’ai un peu bougé, téléphoné à ma cancéro, qui m’a prescrit un médok, puis après me suis évanouie quelques instants. J’ai cru alors à un virus. Non c’était bien une douleur de méta, une toute nouvelle! Qui ne s’était même pas annoncé! Vlan je débarque, comme un tsunami! Tu croyais me débusquer et prévenir? Pas question! Je t’attrape, je t’attaque, je t’étouffe, pas le temps de se défendre!
Mais j’ai mis cette douleur en boite, en mémoire, et la prochaine fois elle ne m’aura pas, j’ai une vraie pharmacie à la maison, je pourrai faire une vente de drogues illicites juteuse… car je consomme avec parcimonie, je préserve ma réserve, j’économise, j’anticipe. Grâce à ma résistance, je ne consomme pas toute la boite. Et grâce à ma mémoire, je me méfierai de tout signe avant-coureur qui ne ressemble pas à une méta connue mais qui est une imitatrice illicite se cachant mal.
J’ai peur de la douleur. Et je n’ai plus confiance envers les médecins qui ne sont pas de mon service, car l’oncologie du 2° étage, c’est chez moi, c’est MON service. La secrétaire, tous les infirmiers, me connaissent, avec ou sans perruque.
Par contre, en pneumologie, à la polyclinique, en gastrologie, ils ne me connaissent pas. La pneumo a bien lu mon dossier de cliente fidèle, et a été super sympa. Mais les autres! Ils ont dû me prendre pour une touriste de passage, qui ne reviendra pas, alors pourquoi être aimable? coloscopie sans anesthésie! Et vlan, ça t’apprendra! « Normalement ça se passe très bien… » Ha oui? Je ne suis vraiment pas normale, j’ai des nerfs sensitifs très mal placés alors, j’ai vraiment cru qu’une fourchette de cuisinier me labourait le ventre! István m’a entendu hurler, et s’inquiétait!!
Pour une petite chirurgie soignant un panaris, j’ai bien dit au chir que je souffrais de neuropathie au pied, que j’ai eu une colo sans anesthésie, et il me dit » moi aussi, et j’en suis pas mort », mais là, la petite piqure d’anesthésie dans l’orteil neuropathique, c’est comme une seringue traversant l’os, alors encore fois j’ai été bruyante. J’ai entendu « qui crie comme ça?! » j’ai répondu, derrière le rideau « c’est la mauvaise malade! », moi si gentille et polie et souriante normalement, j’étais à bout de nerfs, ce qu’a bien compris l’interne qui elle, a certainement lu ma fiche, mais pas cet idiot de chiro. Remarque, ce genre de situation stressante, ça me fait bien perdre un kilo, c’est du sport, c’est toujours ça de gagné…

F comme Flora
Elle en a fait un bouquin, dommage que je ne lise pas le hongrois. C’est surement très bien; elle est très belle, et en fait surtout quand elle a eu les cheveux ras. Mais pourquoi a-t-elle montré son sein abimé sur FB?

H comme Herceptin
900 euros la dose chimique, ou plus, je ne sais pas (en France ou au Luxembourg, les malades ne paient pas). Toutes les 3 semaines, depuis janvier 2011. Ça ressemble à de l’eau minérale, épaisse, fraiche, préparée pour moi, dosée en fonction de mon poids. Si je ne viens pas, c’est perdu, donc je dois confirmer ma venue. Si je grossis je coute plus cher, et je grossis… Est-ce que je leur coute trop cher? Est-ce que je le mérite? Je me disais: s’ils investissent dans ta vieille peau c’est parce que tu es mère de famille, et si tu mourais, la qualité de vie de tes enfants baisserait, avec le risque que leur avenir soit moins bon, et qu’ils rapportent donc moins à la société. Donc oui tu vaux ça.
J’ai vu sur ARTE que l’herceptin en Angleterre n’est pas délivrée gratuitement aux stade IV. Bah oui, c’est pas la peine, pour seulement 10 pour cent de chances de s’en sortir! merde!!!! Si je vivais dans un état ultra libéral, je devrais donc payer l’herceptin… Aurions-nous eu l’argent? Mais oui, on a une voiture, une maison, et même des parents prêts à tout pour m’aider.
En fait je ne suis pas une vieille peau, car les autres vieilles aussi, on les soigne à ce prix! Donc oui je le mérite, je suis jeune. Mais quand même, pourquoi Cédric, mon infirmier préféré, me demande encore quand j’arrête l’herceptine? J’ai lu d’une malade de stade IV que c’est une chimio à vie…

J comme jeune
Dans le couloir du service d’oncologie j’ai vu un jeune d’à peine 40 ans, qui marchait, péniblement, encadré de ses parents. Ils se trainaient tous les trois, silencieux, les bras ballants, on ne savait dire qui souffrait le plus. C’est sûr, c’était foutu…
Et puis une fois dans l’ascenseur, une jeune fille d ‘à peine 20 ans, le foulard bien mis, les yeux lisses sans les sourcils, la peau grise mais tendue et dynamique, presque souriante, avec sa mère. C’est sûr, elle devait être en rémission, enfin ce que j’appelle la rémission. Tous les autres sont plus vieux que moi… c’est bien que les enfants soient dans un autre service.

J comme Josi
Je sais que je ne suis pas la seule amie de Josi, mais sa disparition m’a endeuillée comme s’il était mon ami le plus proche. Je me suis sentie aussi un peu trompée, car il nous avait assurés que ce n’était pas une leucémie, mais alors pourquoi de la chimio, puis pourquoi une greffe? Il avait je crois un donneur, il allait donc être guéri, évidemment il ne montrait que de la bonne humeur… et il est parti très vite. J’ai cru être inconsolable… .je le verrai toujours remercier Tomas de tous ses travaux sur la communauté juive de Bialystok, en pleurant, et ça me fait pleurer…

L comme Léo
Quand Léo, 6 ans, est mort, en chutant sur le trottoir, à l’automne 2011, j’ai bien sur pensé que rien ne pouvait être pire que perdre son enfant… ça m’a aidée à relativiser mon cancer, je pouvais pleurer pour Nicolas et Masako, puisque je ne pleurais pas sur mon sort… Si je mourais, le chagrin de mes proches serait sans commune mesure avec le leur. Je sais qu’il ne faut pas comparer mais quand même, la mort d’un enfant, c’est l’anéantissement d’un futur… mourir à 47 ans ce n’est pas pareil… un jour je pourrai dire à Nicolas et Masako à quel point la disparition de Léo m’a aidée, c’est leur genre d’apprécier cette remarque, Masako est complètement japonaise dans sa modestie et sa générosité et Nicolas est complètement ancré dans sa foi, et croit au regard de Léo sur nous du paradis blanc…

M comme mort
Bien sûr qu’on pense à la mort, ou plutôt à sa propre disparition, c’est l’un des cadeaux du cancer; une réflexion sur la disparition du futur, l’inexistence du futur des autres puisque pour soi, ce sera le néant… que deviendront les enfants, je ne saurai jamais ce qu’ils choisiront comme études, boulot? Et est-ce que j’aurai des petits enfants? Au moins savoir, même si je ne les verrai pas? Ça s’appelle la négociation. Tous les cancéreux, jusqu’ à la fin, essayent de négocier comme ça: je vais vivre jusqu’ à ce que ma fille ait son bac, puis: je veux vivre jusqu’à son diplôme. Je comprends maintenant qu’un mourant fait promettre des tas de choses à ses proches avant de disparaitre, ça aide à penser ce futur qui n’existe que pour les autres, anticiper fait vivre ce qui n’arrivera pas.
Puis avec l’espoir de rémission, le temps est devenu élastique; de quelques semaines, quelques mois, le futur s’est rallongé de quelques années, puis même de nombreuses années. Parfois je recule ma mort à 60 ans et parfois, caprice de star, je pense vivre jusqu’à 90 ans, car c’est sûr, ils trouveront encore d’autres médicaments, quand mon cœur décidera qu’il faut arrêter l ‘ herceptine.

O comme opération
“avez-vous été opérée?” ben non, pas d’opération. Je suis presque jalouse. Passer sur le billard, être mutilée, ça c’est le top, c’est comme le premier prix du plus grand malade. On a surement le droit à une place réservée dans le bus après. C’est le signe d’avoir eu un cancer. Pas opérée? Alors il y a un doute, est-elle vraiment malade? Ce n’était surement pas grave, pas de quoi se plaindre en tout cas, d’ailleurs, le cancer du sein aujourd’hui ça se soigne… pourquoi on ne m’a pas opéré? Nous avions lu qu’opérer à un stade avancé peut créer des métastases. J’ai compris que c’était trop tard, trop avancé, “stade IV”, alors héroïquement j’explique aux ignares: non, pas d’opération quand il y a des métastases. Si le regard est curieux et demandeur, je rajoute: c’est trop tard. Là c’est top, mais une seconde après je regrette, la personne s’en va, terrorisée. Alors je n’explique plus, maintenant je dis que ce n’est pas la peine, et maintenant, je peux même dire: “car les traitements ont bien fonctionné”. Mais quand même c’est injuste, pas pour moi, pour elles, ” les stades I, II, III” seulement mais qui sont mutilées… je suis vraiment gâtée, chanceuse, est ce que je le mérite?

P comme Patricia
Elle a de longs cheveux maintenant, et ses sourcils ne sont plus parfaits. Mais c’est bien, le crayon à sourcils, en s’y prenant bien, ça peut paraitre naturel. Son teint est devenu normal, quand j’ai fait sa connaissance je croyais qu’elle était naturellement grise. Maintenant je saurai repérer ça.

P comme peur
Celle des autres. Pourtant, le cancer n’est pas un virus! Il ne s’attrape pas par contact!!! mais on peut imaginer ce que ressentent les malades du sida quand ils annoncent la maladie aux inconnus, qui font une de ces têtes!!!! j’ai lu sur des visages la terreur, mon enterrement, la peur des souffrances, des adieux; “oh mon dieu elle est mourante”, juste parce que j’avais une perruque et le visage gris!!!
C’est juste un manque d’expérience car souvent, les plus de 50 ans demandent “comment ça va?” et prennent des nouvelles, racontent leur femme, leur frère, leur copain et sont positifs, et c’est tout ce que je demande. István, pour exprimer sa colère, racontait à tout le monde que sa femme a un cancer, comme ça, sans gants, crûment, sèchement, fallait pas l’embêter… Mais ça sert à rien de choquer les gens… je préférais ne rien dire, ne rien raconter, réserver ça à plus tard, et puis j’ai toujours aimé le: ” s’ils savaient… quand ils sauront… ” Comme la vengeance, qui est un plat qui se mange froid”. J’imaginais, quelques mois plus tard: “mais elle est pas morte? Wahou!!! ” Et là ils m’admireront !! Comme cette jeune stagiaire qui me raconte le cancer de sa mère (genre stade II, rien du tout), puis, je lui dis moi aussi je suis malade, elle me demande si c’est du diabète, non un cancer métastasé, et là, jouissance: des ho mon dieu, je savais pas excusez-moi, mais vous avez bonne mine, hé oui, je suis forte, ha quelle jouissance, cette admiration dans les yeux!!! c’était une inconnue, c’était très bête et gratuit… je n’ai jamais refait un coup pareil.

P comme pitié
En fait on peut confondre avec la peur, ç’est un peu la même tête, de toutes façons, c’est de l’enterrement avant l’heure. Soit ça m’amusait (voir chapitre précédent) soit j’ai pas du tout aimé quand ce libraire, me doublant dans l’escalier du troisième étage de la grande librairie d’Angers, me dit qu’il y avait un ascenseur … je pensais passer inaperçue, la chimio était finie, c’était les vacances, j’avais une très belle perruque, je pouvais marcher un bon kilomètre!! Mais apparemment rien de ça ne se voyait… là je me suis dit merde alors je suis encore malade, ça se voit tant que ça? Là j’ai un peu ragé, je me sentais mieux et ce libraire ne le voyait pas?

R comme Rémission
Pourquoi mon cancérologue ne m’a toujours pas prononcé ce mot? c’est pourtant pas compliqué!!! REMISSION, synonymes: acquittement, amélioration, amnistie, apaisement, atténuation, grâce, indulgence remise, répit.
Il y a une grosse amélioration, je suis apaisée, tout s’est atténué, je suis en état de grâce, la nature fut indulgente, je suis presque remise, c’est un répit quasi-total, alors suis-je acquittée?
10 mois après le diagnostic, il n’y a plus de signe de vie de tumeur, ni les petites ni les grosses. Les statistiques disent: 5 ans après, dix pour cent des femmes sont vivantes… et ça ne fait que 2 ans… est c’est pour ça que le mot n’est pas prononcé? c’est vrai que j’ai encore un traitement chimique…

S comme survivor
La fondation contre le cancer organise chaque année une grande fête sportive. Des anciens malades et surtout leurs amis ou autres bandes de collègues courent pour démontrer l’énergie déployée pour guérir ou lutter. L’année dernière István et Dorián ont couru 3 tours, sous la bannière de Anne. Cette année elle n’a rien organisé, alors j’ai voulu m’inscrire au tour d’honneur des “survivors””, je me voyais bien avec mon T-shirt “survivor”. Mais la Fondation m’a répondu que puisque c’était réservé aux malades, je devais vérifier que j’étais inscrite. Ça m’a vexée: puisque je reçois leur magazine, et que j’ai emprunté des livres, bavardé une fois avec leur psychologue, je pensais ne pas avoir à prouver en plus en quelque sorte que je suis malade… alors je n’y suis pas allée… même si j’ai besoin de me prouver que j’en suis.

T comme temps
Le jour du diagnostic, je pensais que c’était le début des dernières fois ” le premier jour du reste de ma vie”. Ce jour-là, à l’heure ou le médecin m’a fait un schéma sans équivoque de la cause possible des douleurs, je devais, pour la dernière fois, aller chercher mon fils à l’école (donc arriver en retard pour la dernière fois), pour la dernière fois j’ai conduit ma voiture jusqu’à la maison, le temps de faire une valise pour l’hôpital qui m’attendait pour le soir même. Là il ne faut pas réfléchir. Là le temps s’arrête ou se limite aux heures et à quelques jours. Terminés les projets, terminé le futur, pas penser… puis la morphine a aidé l’horloge à redémarrer, d’abord en m’envoyant dans un nuage e coton dénué de sens temporel. Puis le quotidien à l’hôpital a redonné du temps, même si c’est hors du monde; un temps établi par des visites de l’aide-soignante, visites du médecin, visite d’István, repas et autres joyeusetés. Si l’on accepte de prêter gentiment son corps aux médecins et techniciens, la confiance vient, et le temps se laisse apprivoiser.